La force Briggs

La 7ème Brigade d’infanterie indienne, bien qu’appartenant à la 4ème division d’infanterie indienne, est restée en réserve entre Khartoum et la frontière de l’Erythrée. Les 3 unités qui la composent vont être réarticulées pour former des groupes autonomes :

– Le 1st Bat/ Royal Sussex et le 4/16th Punjab Regiment, forment l’ossature de la Force Briggs.

– Le 4/11th Sikh Regiment, est intégré à la Force Gazelle

Conformément à la décision du général de Gaulle du 17 janvier 1941, la Brigade Française libre d’Orient vient compléter le dispositif de la Force Briggs. 

La Brigade Française d’Orient

La BFO est composée d’un état-major et une compagnie de commandement
– De la 13ème DBLE du lieutenant-colonel Cazaud
– Du 3ème bataillon de marche du commandant Garbay constitué à partir du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad
– D’un groupement d’artillerie aux ordres du capitaine Laurent-Champrosay constitué une section de canon de 75 commandée par le lieutenant Quirot formée par les éléments venant de Grande-Bretagne et de la 31ème batterie du 6ème régiment d’artillerie coloniale de Bobo Dioulasso
– D’éléments du génie, du train, du service de santé et de l’intendance.

Alors que le BM N°3 rejoint directement le Soudan à partir de Fort-Lamy, le reste de la brigade embarque le 24 décembre 1940 à Douala pour rejoindre Freetown en Sierra Léone afin d’être transféré sur le paquebot Neuralia. Ce dernier appareille le 7 janvier 1941, réalise une escale à Durban avant de rejoindre Port-Soudan début février après avoir contourné la moitié du continent africain.

Le premier à rejoindre le théâtre est le 3ème bataillon de marche du commandant Garbay, arrivé à Souakim par voie terrestre depuis le Tchad et qui embarque pour une courte liaison maritime vers Marsa Taclaï le 14 février. De là, il rejoint la force Briggs le 16 février à Cam Ceua et est immédiatement engagé dans les combats pour la prise du poste avancé de Kub Kub.

Le 14 février, le gros de la BFO accoste à Port Soudan puis est transféré par train à Souakim. La section d’artillerie du lieutenant Quirot est placée sous les ordres du capitaine Laurent-Champrosay qui a rejoint Souakim par voie terrestre.

Le 21 février elle récupère son matériel puis quitte sa zone de départ le 28 février pour rejoindre la zone des combats.

La brigade est galvanisée à l’annonce de la première victoire française à Kub-Kub.

Le premier fait d’armes de la France Libre à Kub-Kub le 22 février

Après avoir refoulé les Italiens de 200 kilomètres depuis Karora, la force Briggs est stoppée à Cam Ceua devant un défilé fortement défendu. Profitant de l’arrivée du BM 3, le général Briggs l’engage immédiatement pour forcer le passage de Kub-Kub à partir du 20 février.

Les Italiens qui se sont repliés sur Keren ont laissé le 112ème colonial pour défendre le point avec 4 pièces d’artillerie de 65 m/m. Au prix d’un large contournement et dans des conditions très difficiles, le bataillon parvient à neutraliser la batterie d’artillerie et faire tomber le poste de Kub-Kub.

Le BM 3 y laisse 22 morts et 42 blessés mais fait 450 prisonniers. Il s’agit, ce 22 février avant Koufra, dont la prise n’a lieu que le 2 mars, de la première victoire des Forces françaises Libres.

Le Royal Sussex poursuit l’exploitation et atteint Chelamet le 24 février puis prend contact avec les défense de Keren au col de Mescelit le 25 février.

A compter de cette date, l’ensemble du dispositif allié est en place pour l’attaque finale de Keren. Les troupes italiennes sont en défense ferme face aux 4ème et 5ème divisions indiennes au sud-ouest et la force Briggs au nord.

La bataille de l’Engiahat

Le 28 février, Monclar et son état-major, rejoignent celui du général Briggs afin de coordonner la prochaine attaque. Le plan d’opération est exposé en français. Grâce à la récupération sur le terrain de renseignements italiens (sous la forme de messages mal brûlés) les Alliés comprennent qu’il faut poursuivre cette action au plus vite étant donné les nombreuses désertions indigènes du camp adverse. En outre un renseignement important précise que la ville de Keren n’est défendue que vers le nord et vers l’ouest.

L’idée de manœuvre est de lancer le Royal Sussex avec tous les moyens motorisés vers le col de Mescelit afin de fixer les Italiens et de réaliser simultanément une infiltration à l’est par le massif de l’Engiahat avec la BFO et le 4/16th Punjab Regiment afin d’aller couper la retraite des Italiens au niveau de Abi Mentel qui contrôle le seul axe de retraite entre Keren et Asmara.

Le 6 mars, la BFO est totalement regroupée à Chelamet avec la jonction des éléments de la 13ème DBLE et des autres unités arrivées par voie maritime, dont la section d’artillerie du lieutenant Quirot. Celle-ci est placée en appui du Royal Sussex et elle tire le premier coup de canon de l’artillerie française libre le 10 mars à midi.

Les 10 et 11 mars, le BM 3 est chargé de reconnaitre les axes d’approche de l’Engiahat et met en place le dépôt logistique avancé B.

La bataille de l'Engiahat du 13 au 14 mars

La bataille de l’Engiahat du 13 au 14 mars

Le 12 mars, une fois les compléments logistiques effectués, en particulier en eau et en carburant, la 13ème demi-brigade de Légion étrangère, reprend sa progression de nuit à partir de 21h00 vers le col situé à 3 kilomètres des monts d’Engiahat, jusqu’au dépôt B.

Le 13 mars en début d’après-midi, des tirs de mortiers et des rafales de fusils mitrailleurs partent du grand Willy et atteignent le bivouac. Monclar voyant le dispositif décelé, déclenche l’attaque et l’occupation du col. Les unités prennent le dispositif d’alerte ; des éléments du BM 3 et de la Légion se lancent vers les pitons dominant l’oued.

À 18 heures la Légion monte vers le col qu’elle atteint à minuit. Le matériel est porté à dos, les chameaux ne pouvant escalader les pentes… Les hommes peinent dans la nuit, le brouillard et la brume les enveloppent ; la température devient glaciale contrastant brutalement avec la chaleur moite de l’oued. Vers minuit, la Légion attaque le Grand Willy dont la position domine dangereusement le col. Les hommes sont éreintés ; les unités se perdent dans la nuit. Finalement, après un combat assez confus, les éléments de tête de la 1ère compagnie du capitaine de la Bollardière et une section de la 3ème compagnie arrivent au col. Les Italiens décrochent au prix de 2 tués et de 3 blessés dans nos rangs.

Le 14 mars, Monclar installe son PC sur le mont Gegghiro et décide de prendre d’assaut l’Engiahat, sans savoir ce qui se trouve en ligne de crête et en écartant la proposition du capitaine André du BIM de franchir le col et d’atteindre Abi Mentel puisque d’après les renseignements indigènes il n’y avait plus d’italiens sur cet axe.

L’assaut doit se faire de manière simultanée avec les 4ème et 5ème divisions indiennes au sud pour le 15 mars à 8 heures. La mise en place des troupes se fait à partir de 17 heures la veille. Après plusieurs heures de progression nocturne et alors que la 2ème compagnie du capitaine Morel approche du sommet, une bande de cynocéphales s’enfuit en poussant des cris, ce qui met en alerte les Italiens. La compagnie est immédiatement soumise à un tir intensif de grenades. Idem pour la 3ème compagnie du capitaine de Lamaze qui essuie également un feu nourris de tirs de mortier et de grenades. La compagnie du capitaine Morel ne donne pas signe de vie mais on entend les tirs nourris. La légion ne peut espérer aucun appui artillerie car les canons ne peuvent pas approcher à distance de tir de la zone des combats. C’est l’impasse et Monclar décide d’arrêter l’attaque et de se replier après des pertes conséquentes. Les forces britanniques au sud essuient également un lourd revers. C’est l’échec !

Le 17 mars, le 4/16th Punjab Regiment échoue également à prendre l’Engiahat malgré un appui et une préparation plus fournie.

Laurent-Champrosay appuie la légion depuis le « Grand Willy »

Canon de 65 m/m italien

C’est alors que le capitaine Laurent-Champrosay propose de faire transporter sur le « Grand Willy » (1910 m), tenu par une compagnie de la Légion, deux obusiers de 65 de montagne pris aux italiens à Kub-Kub un mois auparavant. Le maréchal des logis Lapouyade qui l’accompagne en tant qu’artificier nous confie son témoignage :

« J’accompagnais le capitaine. Nous étions les seuls artilleurs, d’un convoi de 19 dromadaires avec leurs guides érythréens et un détachement de protection. Nous marcherons sans arrêt pendant 9 heures et arriverons le 23 mars au sommet du « Grand Willy ». Ce sont les légionnaires qui remontent et servent les obusiers.

Le 4ème jour, après la chute de Keren, nous redescendons au camp de base et réintégrons l’unité.

Première petite victoire française qui passa inaperçue. Nous commencions la reconquête. »

En effet, après le renforcement de la 3ème compagnie du BIM commandée par le capitaine Savey le 24 mars, l’offensive finale est déclenchée sur tous les fronts le 27 mars à 7 heures. L’effondrement italien est total et Keren tombe le jour même.

Considérations sur la bataille de Keren

La bataille de Keren est de nos jours considérée comme un épisode positif de l‘histoire militaire italienne, malgré son issue négative, en raison du courage dont firent preuve les troupes coloniales et italiennes, ainsi que de la valeur du général Carmineo.

Dans Eastern Epic, Compton Mackenzie écrit :

Keren fut une des batailles les plus dures, et il doit être dit que jamais les Allemands ne combattirent avec la même détermination que les bataillons italiens de troupes alpines, Bersaglieri et Grenadiers de Savoie le firent à Keren. Durant les cinq premiers jours de combat, les Italiens perdirent près de 5 000 hommes, dont 1 135 tués. Lorenzini, le courageux et jeune général italien, eut la tête explosée par un fusil britannique. C’était un grand chef des troupes érythréennes. »

«La propagande de guerre britannique dépeignit les Italiens comme des soldats ridicules ; mais, à l’exception des divisions parachutistes allemandes en Italie et des Japonais en Birmanie, aucun des ennemis qu’affrontèrent les troupes britanniques et indiennes ne se battit avec autant de courage que les bataillons savoyards à Keren.

De plus, les troupes coloniales, avant qu’elles ne cèdent à la toute fin de la bataille, se battirent avec valeur et détermination, et leur loyauté fut un témoignage de l’excellence de l’administration italienne et de l’entraînement militaire en Érythrée. »

La prise d’Asmara et de Massoua

La campagne d’Ethiopie

La prise de Keren marque un tournant de la conquête de l‘Erythrée et de l‘Ethiopie par les Britanniques. Après cet affrontement, la résistance des troupes italiennes est beaucoup plus faible car la troupe est démoralisée. Selon Pierre Messmer, ces derniers estiment ne plus être en mesure de remporter la victoire sur ce théâtre d’opérations et la capitulation de leurs unités est en général rapide.

La 5ème division indienne se dirige ensuite vers la capitale Asmara, à 80 kilomètres à l’est de Keren, tandis que la 4ème division indienne reste à Keren quelques jours et retourne en Égypte début avril. Asmara est déclarée ville ouverte et les troupes britanniques s’en emparent le 1er avril. Trois jours plus tard, la 10ème brigade indienne se dirige vers Massaoua située à une centaine de kilomètres d’Asmara, sur la côte. Les Italiens disposent de 10 000 hommes, de tanks et de véhicules blindés pour défendre Massaoua, un objectif portuaire stratégique. Après quelques affrontements initiaux, la résistance s’effondre et les unités indiennes et la Brigade française d’Orient prennent Massaoua le 8 avril, point final à cette première campagne.

Durant la campagne d’Erythrée, la section d’artillerie a tiré 2000 coups de 75, dont 350 pour l’attaque de Massaoua. Le lieutenant Quirot est cité pour avoir neutralisé une batterie ennemie.

La fin de la campagne d’Ethiopie

Destruction d’une borne de l’empire italien à Kisimayou

La 5ème division indienne poursuit son offensive vers le sud en Ethiopie, tandis que des troupes venues du Kenya s’emparent d’Addis-Abeba le 6 avril.

Le duc d’Aoste se rend le 18 mai 1941 à Amba Alagi, mais des troupes italiennes sous le commandement des généraux Nasi et Gazzera poursuivent la lutte, respectivement au nord-ouest et sud-ouest de l’Éthiopie.

Le dernier affrontement d’importance se produit à Gondar et débouche sur la reddition du général Nasi le 21 novembre. Quelques troupes italiennes mèneront une guerre de guérilla dans les déserts érythréens et les forêts éthiopiennes jusqu’à la reddition du gouvernement italien aux Alliés en septembre 1943.

Le 11 avril 1941, la Brigade Française libre d’Orient change de nom pour devenir la 1ère Division Légère Française Libre. Elle quitte le théâtre d’opération début mai 1941 afin de rejoindre le camp de Qastina en Palestine où elle va se réorganiser en prévision de la campagne de Syrie.